Quand Midi-Pyrénées croyait aux sorcieres

, par Claude Vertut

Publié le 11/02/2001
Quand Midi-Pyrénées croyait aux sorcières
Grand Sud - TRADITIONS
* Notre Midi regorge de légendes, de dictons, de traditions, de folles frayeurs qui ponctuaient la vie de nos ancêtres.

La plupart d’entre nous les ont oubliés, quelques anciens s’en souviennent. La romancière Colette Laussac, qui vit entre Toulouse, où elle enseigne, et la Basse Corrèze, a tenté de les recenser (1).
L’épée de Roland
La Vierge noire veille sur Rocamadour, deuxième lieu de pèlerinage d’Europe. Amadour, avant d’être Saint, fut - selon la légende - le serviteur de Marie, sous le nom de Zachée, il partit dans les pas de Jésus après qu’il eut guéri Véronique son épouse, et le couple, plus tard, évangélisa le Quercy. Est-ce racontar ? Une autre légende assure que le célèbre Roland déposa son épée devant la Vierge et qu’à l’heure de la mort du comte, défait par les Sarrazins, son arme - la fameuse Durandal - alla se ficher dans le rocher de Saint Amadour. Aujourd’hui, toucher la mythique épée garantit un mariage dans l’année.
Le mariage, ce fut « la grande affaire de nos campagnes » et toute une série de vieilles superstitions l’ont longtemps entouré : ne pas se retourner durant la cérémonie par crainte de devenir jaloux (région de Cahors), trinquer devant l’église tandis que des jeunes, en embuscade, tirent des coups de fusil (à Figeac, Saint-Céré).
Qui se souvient encore que dans l’Aveyron, naguère, une jeune fille marchant sur la queue d’un chat n’avait aucune chance de trouver époux ? Que la pluie le jour du mariage était l’assurance de « pleurs sur le ménage » ?
Grain de sel, grain de blé
Dans le Tarn, chacun prêtait à la fontaine de « las nobios », à Saint-Hippolyte, une vertu : son eau assurait à celles qui s’y désaltéraient un prompt mariage. A Albi, un grain de sel déposé, à son insu, dans la poche du marié le préservait du mauvais sort.
Mais quel parcours d’obstacle avant que de trouver époux ! En Ariège, la personne chargée de faire la demande devait rencontrer une chèvre, une cigale, un martinet, une femme légère, entendre l’orage gronder, croiser un sanglier, un lièvre, un serpent, un borgne, un boiteux, une femme enceinte et, surtout, ne pas éternuer ni trébucher. Sinon, le mariage s’annonçait mal !
Du mariage à la naissance, il n’y avait qu’un pas. Pour accoucher paisiblement, la femme en appelait à la Vierge de Quézac (Aveyron). Dans le Tarn, il convenait de manger un grain de blé béni à Noël remis par les carmélites de Mazamet.
L’enfant né, il était courant d’enfouir le cordon ombilical pour protéger le bébé du feu (à Penne). A Montségur (Ariège), c’est un coq qui se chargeait d’engloutir le cordon.
Une tradition barbare, dans la région de Castres, consistait à allonger la boîte crânienne du nouveau né en entourant sa tête d’un bandeau.
Du vin dans la bière
Le jour du baptême, événement d’une grande solennité, la personne portant l’enfant ne devait en aucun cas se retourner si elle ne voulait pas faire du baptisé un menteur (Gers) ou un pleureur (Ariège). Sitôt hors de l’église, dans la vallée de Bethmale, par crainte du mauvais oeil, on donnait du pain à la première personne rencontrée.
L’enfance n’était pas une partie de plaisir, les dangers guettaient à chaque pas et les superstitions étaient innombrables : pas question de mesurer le chérubin, ni de le peser. En revanche, lui faire sauter le feu de la Saint-Jean avant sept ans était fortement conseillé pour sa croissance.
La vie était tristesse, labeur, mais fêtes également qui rythmaient l’existence, telle celle du Cailhou de Saint-Mamety, près de Luchon : les jeunes filles s’y laissaient glisser, assises sur un sabot. Une petite pierre, en forme de phallus, soutenait le gros bloc : les femmes stériles s’y frottaient ; un curé la fit détruire, en 1871, pour la remplacer par une croix.
La mort aussi, bien sûr, était source de rituels, de croyances venus de fort loin : enterrer les défunts une pièce dans la main (Montauban) : pour qu’ils franchissent plus aisément le Styx ?
La mort, alors - et l’on mourait tôt -, avait un visage humain. A Lafenasse (Ariège), la coutume voulait que l’on dépose dans la bière... une bouteille de vin si le défunt l’avait aimé de son vivant.
En ces temps oubliés, dans notre Sud comme ailleurs, sous des vocables différents, on croyait au « drac », le malin, facétieux et rancunier, qui volait les outils et déplaçait les meubles. Aux feux follets, lumières folâtres hantant les cimetières, âmes des enfants pensait-on à Grézels (Lot). Aux loups garous, comme ce Yan Croquet, en Comminges, aux ogres, aux géants tels ceux de Larboust, en vallée de Garonne et de la Pique. On croyait aux fées : l’une d’elles, mi-femme, mi-dragon, se montrait à la Saint-Jean, à Toulouse, du côté de Pech- David. Il en était de mauvaises, les « aubegos » dans le Comminges, âmes damnées, condamnées à habiter les pierres. A Toulouse, les « faitiliéros » volaient assises sur une feuille, et tuaient les nouveaux nés à moins qu’ils ne fussent emmaillotés dans un drap mis en croix. Il en était d’aimables, les « sédètes » auxquelles les mères n’hésitaient pas à confier leurs bambins lorsqu’elles s’absentaient. Il fallait fuir les rouquins et les mendiantes jeteuses de sort. On croyait au serpent- dragon, en Comminges, à Bal- d’Enbès, qui attirait les femmes pour les dévorer, jusqu’à ce que Saint Bertrand ne le touche de sa crosse, le muant en toutou. Au Diable en personne, le « griffet » : un couple périt par le feu, en 1661, à Cahors, soupçonné d’avoir provoqué la grêle, et qui avoua tout sous la torture.
Guérisseurs et trésors
Les légendes, les dictons, les présages, les maximes doctes couraient les plaines, les vallées. Les « saints guérisseurs » abondaient, qui guérissaient parfois, hommes et bêtes. Les sources aussi, les mêmes qui draînaient d’innombrables foules bien avant le christianisme. L’angine s’apaisait à l’aide d’un nid d’hirondelle (Aveyron), la gale disparaissait avec une bonne soupe de serpent et les maux de poitrine avec un bouillon d’os... de mort. Une cuisse de crapaud vivant conservée dans la poche (!) atténuait les maux de dents (Ariège) et la fougasse mangée après avoir passé une nuit dans une tombe fraîche, réduisait le goitre.
Partout, des trésors dormaient, que l’on cherchait avidement - que l’on cherche encore - celui de Toulouse, entre autres, qui serait caché à Pouvourville, ou à Saint-Roch, à Sauzat ou à la Daurade. Certains prétendent entendre les remous d’une source coulant sous la basilique de Saint-Sernin où se dissimulerait, noyé, le butin sacrilège ramené de Grèce par les Tectosages.
Ces légendes, ces rites sont enfouis au plus profond de nos mémoires. Ils firent ce que nous sommes.
* A lire : « L’Epée de Rocamadour et autres histoires mystérieuses de Midi-Pyrénées », par Colette Laussac, éditions du Rocher, 270 pages, 125 F/ 19,06 euros.
Philippe BRASSART
http://www.ladepeche.fr/article/2001/02/11/225717-quand-midi-pyrenees-croyait-aux-sorcieres.html