La bête inconnue (Lomagne)

, par Mireille Lancelin

Il y avait une fois un homme qui acheta une ferme de moitié avec le diable. Chacun paya sa part, après quoi, le diable dit à l’homme :
 toi tu travailleras la terre, moi, je ferai pleuvoir quand il faudra et tu verras que nous aurons de belles récoltes.
 Hé ! comment partagerons-nous ? demanda l’homme.
 Eh bien, nous prendrons chacun notre moitié, l’un le dessus, l’autre le dessous.
 Et que voulez-vous, vous même, pour votre moitié : le haut ou le bas ?
 Je veux le bas.
 Eh bien, ainsi ferons-nous.
L’homme sema du blé. Pluie, soleil, tout vint à point et il y eut une belle moisson.
Quand vint le temps de la moisson, le diable était là. Il n’eut pour sa part que le chaume et l’homme eut les javelles.
 Ah ! dit le diable, tu m’as bien roulé, mais cela ne recommencera pas : la prochaine fois, je prendrai le dessus.
L’année suivante, notre homme sema des pommes de terre. Quand vint la saison de les arracher, le diable était là. L’homme pris sa part les pommes et le diable eut pour lui les fanes.
 Tu m’as encore attrapé, dit-il ; mais nous allons bien voir si cela va durer : la prochaine fois, c’est le haut et le bas que j’aurai.
Cette fois-ci, l’homme sema du maïs. Le maïs mûr, le diable fut là. Il eut les racines et les sommets des tiges et l’homme eut les épis.
 Tu m’as encore attrapé, se dit le diable, mais je réussirai bien à t’attraper , moi aussi.
 Puisque tu es si dégourdi, dit-il après avoir réfléchi un moment, veux-tu que nous fassions à qui tirera le plus haut ?
 Oui.
Le diable ramassa un caillou et le lança si haut, si haut qu’on ne le voyait plus ; l’homme lança une hirondelle et, bien sûr, quand le caillou s’arrêta de monter, l’hirondelle gagna du chemin et le diable perdit.
Alors, il dit à l’homme :
 Ecoute, nous ne pouvons plus vivre ensemble. Demain matin, nous nous trouverons au pré et nous amènerons deux bêtes, chacun la nôtre : si je connais la tienne, la ferme sera mienne, et si toi, tu connais la mienne, c’est toi qui auras la ferme.
Cette fois-là, l’homme fut bien embarrassé : comment faire pour trouver une bête inconnue du diable ? Il raconta l’histoire à sa femme qui lui dit :
 Tu es bien embarrassé, pour si peu ? Laisse-moi faire : la ferme est à nous.
Le lendemain matin, la femme se dévêtit et dit à son mari de l’oindre de miel de la tête au pied, puis elle se coucha dans la couette du lit.
Quand elle sortit de là, elle était toute couverte de plumes.
 Maintenant, dit-elle à son mari, coupe la queue du chien, mets-la moi entre les dents et allons nous poster sous l’arche du pont.
Voilà que le diable, à cheval sur sa bête, passait sur le pont en criant :
 Hue ! hue ! bouc de Biterne !
Alors, l’homme sortit de sa cachette et lui cria :
 Hé ! hé !
 Ah ! te voilà ! Eh bien, qu’est-ce que je mène ?
 Hé ! c’est un bouc de Biterne.
 C’est vrai.
 Pour voir, si vous connaîtrez celle que j’amène !
Le diable regarda la bête avec attention, tourna, retourna. Il n’avait jamais vu la pareille.
 Hé ! qu’est-ce que cela ? se demanda-t-il. Elle a quatre pieds, de la plume et les dents sous la queue ! Homme, la ferme est à toi.

Tric, trac ! Mon conte est achevé. En passant par un pré, il y avait une voiturette de rats, j’ai marché sur la queue d’un rat qui a fait ! "Cuic, couac ! " Il est passé dans un fossé, il y avait trop d’eau et il s’est noyé.

Recueilli en 1902 par Marc Buzon, écolier Antonin Perbosc, contes de la vallée du Lambon, 1914