La légende d’Aluta

, par Claude Vertut

Aluta, dans sa retraite, aperçut une nuit, au flanc d’un pech, un point brillant qui lui était inconnu ; c’était une habitation rustique de bergers. Elle s’avança vers la cabanne isolée et fut étonnée de voir cet abri que le vent n’osait jamais toucher.

La légende d’Aluta

Aluta, dans sa retraite, aperçut une nuit, au flanc d’un pech, un point brillant qui lui était inconnu ; c’était une habitation rustique de bergers. Elle s’avança vers la cabanne isolée et fut étonnée de voir cet abri que le vent n’osait jamais toucher. Elle considérait déjà la hutte, plus blanche que la neige, comme une habitation sacrée lorsqu’elle découvrit une petite lucarne d’où filtrait une lumière terne. Avec discrétion elle regarda à l’intérieur. Aluta fut saisie de tout ce qu’elle vit.
Des ombres se mouvaient au milieu d’un décor tiré de l’imagination des hommes. Et tandis que deux bergers paraissaient fasciner son regard, elle développa la pensée qui, depuis quelques temps, s’était imposée à son esprit artistique. Les bergers semblaient heureux et joyeux de leurs distractions ; leurs yeux et leurs sourcils montraient quelque chose d’agité, de gai, d’insouciant. A peine l’un d’eux ouvrait-il la bouche, que l’autre se récriait pour admirer ce qu’il allait dire. IJ racontait avec des exagérations ridicules ce que lui-même avait fait pour les bêtes. En parlant il ajoutait des gestes comme un comédien qui connait admirablement son rôle. Il devenait la proie de plus en plus soumise d’Aluta qui répétait : « si ces hommes connaissaient la langue des Dieux, ils égaleraient par leur verve le superbe Apollon ».
Il leur manquait la musique pour accompagner leur discours qui célébrait un événement mémorable. Aluta s’imagina très vite d’instruire ces hommes, de leur apprendre les arts comme les Dieux les lui avaient appris.
« Ainsi, se dit-elle, les hommes me distrairont et ce pays deviendra beau. »
L’un des bergers, s’étant tourné vers la lucarne, vit Aluta grelottante qui ne savait plus si c’était le jour ou la nuit. Elle ne savait rien ; elle ne sentait rien ; elle était grisée par cette idée délicieuse qu’elle s’était mise à penser. Et ce qui fut le plus touchant, ce fut que le berger au visage noble et doux qui dissimulait mal d^ans son dos une bosse, la prit par la main et la conduisit dans la demeure où’ il lui fit fête en la saluant comme une reine en lui présentant un siège.
— 0 Déesse ! quel vent favorable t’a conduit ici pour illuminer notre vie. On nous a dit que tu venais de très loin, que tu étais la fille de Gérés, que tu t’appelais Aluta.
— Vous savez tout, répondit-elle. Je dois vous avouer que je ne connaissais point votre retraite.
— Une retraite de misère, avoua le bossu. Je m’appelle Goudou, quant à mon compagon il se nomme Ladignac.
— Les trésors que vous possédez n’ont pas les mêmes noms que ceux des rois et des princes, leur dit Aluta. Tout ce qui sort de vos cerveaux laisse au monde des richesses de joie. Vous vous contentez d’un luxe qui n’est pas fait d’ornements de soierie, d’argent ou d’or. Par conséquent, vous devez devenir des artistes d’un goût exquis pour chanter les louanges des Dieux et des héros.

Source : jean Moulinier - Aluta janv-mars 1959 numéro 61